Le 27 mai dernier, une coalition de féministes du monde entier dénonçant le sexisme sur les réseaux sociaux, est parvenu après un seul appel, à faire plier Facebook. Ce dernier s’est toujours montré inflexible face aux demandes répétées d’utilisateurs et de victimes exigeant la censure des contenus les plus condamnables.
Ainsi, dans un article de huffingtonpost.ca intitulé « How Facebook Learned Rape is Bad for Business » (« Comment Facebook a appris que le viol était mauvais pour les affaires »), on pouvait lire : « Pendant des années, Facebook a maintenu un silence autoritaire et de plomb contre les plaidoyers des utilisateurs et des victimes au sujet des contenus le plus répréhensibles. Pas un mot quand Amanda Todd s’est suicidée après avoir été traquée sans relâche et soumise à un chantage par un prédateur sexuel sur Facebook. Même les suicides des adolescents Rehtaeh Parsons et Audrie Pott (dont des viols collectifs ont été publiés sur Facebook) n’ont apporté aucune réponse de la société de 60 milliards de dollars.
Nombreux sont donc ceux qui jugent la modération du numéro un mondial des réseaux sociaux, trop laxiste face à des actes aussi condamnables. Mais le 27 mai dernier le vent a véritablement tourné grâce à une semaine de campagne lancée par les organisations Everyday Sexism Project et Women, Action & the Media.
Un site pour témoigner
Il y a plus d’un an, Laura Bates, écrivain et actrice britannique de 26 ans, a l’idée de créer un site internet Everyday Sexism pour documenter et dénoncer à l’aide des témoignages de femmes du monde entier victimes de sexisme verbal et physique. Très vite, le site reçoit via Twitter et par e-mail de nombreuses anecdotes affligeantes et choquantes.
Puis, il y a quelques semaines, la jeune femme a décidé, en collaboration avec l’organisation Women, Action & the Media et l’auteure féministe Soraya Chemaly, de lancer cette campagne. Une campagne qui visait à demander à Facebook de modérer plus sérieusement certaines pages et photos en reconnaissant : « les messages qui banalisent ou glorifient la violence contre les filles et les femmes comme un discours d’incitation à la haine et de s’engager à ne pas tolérer ce type de contenu».
Dans une lettre ouverte adressée au réseau social américain, notamment à la directrice générale de Facebook, Sheryl Sandberg, connue pour ses prises de positions féministes, le groupe a précisé : « Nous faisons notamment référence à des groupes, des images ou des pages qui encouragent de manière explicite le viol ou les violences domestiques, ou qui suggèrent que c’est un sujet dont on peut rire ou se vanter». Parmi ces pages dénoncées, » on retrouve par exemple « Violently Raping Your Friend Just for Laughs » (Violer son amie juste pour rire) » ou la page «This is Why Indian Girls are Raped» («Voilà pourquoi on viole les indiennes», justifiant les violences sexuelles faites aux femmes indiennes), note également l’organisation.
Par ailleurs, pour donner plus de poids à leur action, les activistes attaquent frontalement le géant de 60 milliards de dollars en visant son talon d’Achille, à savoir le flux de recettes publicitaires. Action & the Media a donc lancé via Twitter, un appel au boycott envers les marques dont les publicités apparaissent à côté des pages affichant des messages d’incitation à la haine sexiste et qui refusent de s’y retirer. Succès immédiat !
En quelques jours, des milliers d’internautes interpellent toute enseigne repérée sur le site avec le hasghtag #Fbrape. Des enseignes comme Dove. Plus de 60 000 tweets et 5 000 courriels à ces marques plus tard, Facebook a fini par s’incliner en publiant un communiqué annonçant diverses initiatives pour régler le problème.
« Ces derniers jours, il est devenu clair que nos systèmes d’identification et de suppression des discours de haine ont échoué à fonctionner aussi efficacement que nous le voudrions, notamment à propos d’affaires de haine contre les femmes (…) Nous devons faire mieux et nous le ferons », a reconnu Marne Levine, la vice-présidente chargée de la politique publique de du réseau social. Facebook a ainsi promis de mieux former ses modérateurs sur les pages fan et les groupes prônant la misogynie et la violence faite à l’égard des minorités, dont les femmes.
Lettre de WAW (Women Action & Media)
Le 21 mai 2012, l’organisation féministe WAW (Women Action & Media) avait envoyé une lettre à Facebook.
Lettre ouverte de WAW à Facebook
Voici la traduction de la lettre :
« Lettre ouverte à Facebook – 21 mai 2013
Nous, soussignées, vous écrivons pour réclamer des mesures rapides, complètes et efficaces face à la représentation actuelle du viol et de la violence anti-femmes sur Facebook. Plus précisément, nous vous demandons à vous, Facebook, d’intervenir en adoptant trois mesures spécifiques:
1. Reconnaître comme un discours incitant à la haine les propos qui banalisent ou célèbrent la violence infligée aux filles et aux femmes et prendre un engagement formel à ne plus tolérer ces contenus.
2. Former efficacement votre personnel de modération à reconnaître et à retirer les discours incitant à la haine sexiste.
3. Sensibiliser efficacement votre personnel de modération au fait que le harcèlement en ligne affecte différemment les femmes et les hommes, en partie en raison de la pandémie de violence infligée aux femmes dans le monde réel.
À cette fin, nous appelons les utilisatrices et utilisateurs de Facebook à communiquer avec les annonceurs dont les publicités sont affichées sur Facebook en marge des pages qui exposent des femmes à la violence, pour demander à ces sociétés de se retirer leur publicité de Facebook jusqu’à ce que vous ayez pris les mesures susmentionnées visant à interdire les discours qui incitent à la haine sexiste sur votre site, (Nous allons mener cette campagne de sensibilisation et contacter vos annonceurs sur le réseau Twitter en utilisant le mot-clic # FBrape.)
Nous faisons spécifiquement référence à des groupes, des pages et des images qui encouragent le viol ou la violence conjugale, ou suggèrent qu’il s’agit de sujets dont on peut rire. Par exemple : « Fly Kicking Sluts in the Uterus » (Balançons des coups de pied dans l’utérus des salopes) … ou « Violently Raping Your Friend Just For Laughs » (Violer brutalement votre amie juste pour rire) … et beaucoup, beaucoup d’autres. Les images affichées sur Facebook comprennent des photographies de femmes battues, meurtries, ligotées, droguées et ensanglantées, avec des légendes telles que « Cette salope ne savait pas quand se taire » et « La prochaine fois, ne tombe pas enceinte ».
Ces pages et ces images se voient approuvées par vos modérateurs, alors que vous supprimez alors que vous supprimez régulièrement des contenus tels que des photos de femmes qui allaitent, de femmes après une mastectomie et de représentations artistiques du corps des femmes. En outre, des propos politiques de femmes impliquant l’utilisation de leur corps de façons non sexualisée dans des démarches de protestation, sont régulièrement interdits par Facebook comme pornographiques, alors que de véritables contenus pornographiques – interdits selon vos propres lignes directrices – demeurent en ligne sur votre site. Il semble que Facebook considère que ta violence infligée aux femmes est moins offensante que des images non violentes du corps des femmes, et que les seules représentations acceptables de la nudité féminine soient celles dans lesquelles les femmes apparaissent comme des objets sexuels ou les victimes de mauvais traitements. Votre pratique courante d’autoriser ces contenus en y apposant un avertissement qu’il s’agit d’« humour » traite littéralement ta violence anti-femmes comme une plaisanterie. »
Victoire pour les organisatrices de la campagne
Martin Dufresne a publié le 29 mai 2013 la traduction d’un article de Women, Action & Media : Traduction de Martin Dufresne de l’article « Discours controversé, nocif et haineux sur Facebook »
Voici l’intégralité de cette traduction :
« VICTOIRE POUR LES ORGANISATRICES DE LA CAMPAGNE CONTRE LA MISOGYNIE EN LIGNE
Mardi dernier, les organisations Women, Action & the Media et Everyday Sexism Project et l’auteure/militante Soraya Chemaly ont lancé une campagne pour exiger de Facebook qu’il prenne des mesures concrètes et efficaces pour mettre fin à la propagande haineuse fondée sur le sexe sur son site. Depuis lors, des participantes et participants à cette campagne ont envoyé plus de 60 000 « tweets » et 5000 courriels, et notre coalition a pris de l’ampleur jusqu’à compter plus de 100 organisations de femmes et de justice sociale.
Aujourd’hui, nous sommes heureuses d’annoncer que Facebook a réagi en prenant un engagement important de raffiner son approche aux discours incitant à la haine. Facebook a admirablement fait plus que la plupart des autres entreprises pour répondre à ce sujet en ce qui concerne sa politique de contenu. Dans un communiqué publié aujourd’hui, Facebook répond à nos préoccupations et s’engage à évaluer et mettre à jour ses politiques, directives et pratiques relatives au discours incitant à la haine, à améliorer la formation de ses modérateurs-trices de contenu et à accroître la reddition de comptes exigée des créateurs de contenus misogynes.
Facebook a également invité Women, Action & the Media, l’Everyday Sexism Project et les membres de notre coalition à contribuer à ces efforts et à participer à une conversation en cours. Dans le cadre de ces efforts, nous allons travailler en étroite collaboration avec Facebook sur la question de savoir comment évaluer ses normes communautaires au sujet des discours incitant à la haine sont évalués et comment assurer que des meilleures pratiques représentent les intérêts de notre coalition.
Pour lire en détails la réponse de Facebook (en anglais), veuillez cliquer ici : Controversial, Harmful and Hateful Speech on Facebook – by Facebook Safety .
Facebook s’est déjà comporté en leader sur Internet pour traiter le problème des discours incitant à la haine sur ses pages. Nous croyons que c’est le fondement d’une collaboration de travail efficace, conçue pour affronter efficacement les discours de haine sexiste. Notre objectif commun est de créer des espaces sûrs, à la fois en ligne et hors ligne. Nous voyons cela comme un élément essentiel et indispensable pour du travail précieux que Facebook effectue pour répondre au cyber-harcèlement harcèlement et aux préjudices réels.
Soraya Chemaly explique : «C’est parce que Facebook s’était engagé en adoptant des politiques pour résoudre ces problèmes que nous avons estimé qu’il était nécessaire de prendre ces mesures et de faire pression pour que cet engagement reconnaisse pleinement la façon dont le déficit de sécurité vécu par les femmes à l’échelle mondiale avait un lien dynamique avec notre vie en ligne.»
«Nous avons été inspirés et émues au-delà des mots pour le dire par l’effusion d’énergie, de créativité et de soutien exprimés envers cette campagne dans des communautés, des entreprises et par des individu-es du monde entier. C’est un témoignage de la puissance des sentiments des gens au sujet de ces questions, » a ajouté Laura Bates, fondatrice de l’Everyday Sexism Project.
Jaclyn Friedman, directrice générale de Women, Action & the Media (WAM!), a déclaré: «Nous atteignons un point de basculement international dans les attitudes envers le viol et la violence contre les femmes. Nous espérons que notre effort atteste de la puissance de l’action collective.»
Nous espérons que ce moment marquera une transition historique pour ce qui est de l’interaction entre les médias et les droits des femmes, un moment où Facebook sera reconnu comme un chef de file dans la promotion de communautés en ligne plus sûres, réellement inclusive, dans la création de précédents que l’industrie et d’autres parties pourront emprunter. Nous avons très hâte de collaborer avec ces communautés à des actions de petite et de grande envergure, jusqu’à ce que nous vivions dans un monde qui sera sûr et juste pour les femmes et les filles, et pour tout le monde.
Texte d’origine: Women, Action & the Media
Traduction de Martin Dufresne ».